Les grandes orgues de Sainte-Waudru ont-elles été construites spécialement pour la collégiale ?
Lorsqu’on pénètre dans l’envoûtant vaisseau de la collégiale Sainte-Waudru, le regard ne peut s’empêcher d’être attiré par les grandes orgues qui scintillent de mille feux du haut du jubé, au fond de la nef. Evidemment, tout porte à croire qu’elles ont été installées là dès l’origine tant elles s’intègrent magnifiquement dans le décor de pierre qui l’entoure. Cependant, cet orgue n’a pas été construit pour la collégiale, mais bien pour l’abbaye de Cambron-Casteau (là où s’est développé le parc animalier Pairi Daiza) et a connu de nombreuses tribulations au cours de son existence.
Cette abbaye, fondée au XIIe siècle, posséda des orgues dès le milieu du XVe siècle, lors de l’introduction de cet instrument dans le chant liturgique, probablement de taille modeste. C’est en 1693 que l’abbatiale fut dotée de nouvelles grandes orgues, construites par le facteur Mathieu Le Roy (Mons 1663 – Lille 1743).
En 1767, l’instrument fut relevé et agrandi par Armand-Joseph Lion lui donnant un aspect monumental. Vers 1780, sa décoration fut changée par un certain Ermel et adaptée au goût du jour, qualifié de style Louis XVI.
Le monastère est fort prospère quand en 1783, Joseph II, empereur du aint-Empire, le supprime comme toutes les congrégations religieuses contemplatives faisant partie de ses états. Le 27 mai 1789, les moines sont expulsés de leur abbaye et partent en exil. L’orgue est vendu et remonté par les facteurs bruxellois Jan Smets et J. De Savoye à l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg à Bruxelles.
La fin du pouvoir autrichien, amenée par la révolution brabançonne et les éphémères Etats-Belgiques-Unis permet aux moines de revenir quelque temps chez eux en décembre 1789. Une grande partie du mobilier a déjà disparu, mais l’abbé obtient des Etats de Hainaut le retour de tout ce qui a été vendu, même à d’autres églises.
C’est ainsi que les grandes orgues, à peine installées à Bruxelles, sont à nouveau démontées et renvoyées par bateau vers leur lieu d’origine.
Elles se trouvent dans la région d’Ath lorsque l’occupation française met fin définitivement à la vie monastique à Cambron. Chassés par le pouvoir révolutionnaire, les moines quittent l’abbaye en 1797. Les biens de celle-ci sont vendus et les bâtiments démantelés par les propriétaires successifs. Les orgues, toujours démontées, restent cachées en différents endroits pendant toute la tourmente révolutionnaire, et échappent ainsi à la destruction. Ce que l’on peut considérer comme un heureux fruit du hasard.
Á Mons également, on eut à souffrir de cette période révolutionnaire. L’église de Saint-Germain avait été vendue comme bien public et démantelée, tandis que Sainte-Waudru, église désormais privée des chanoinesses, mais heureusement préservée pour servir d’église paroissiale, se trouvait dépouillée de ses ornements et de ses orgues (il s’agissait d’un petit instrument situé sur le jubé de Du Broeucq).
Un an après la restauration du culte en 1803, il fut déjà question de racheter l’ancien orgue de l’abbaye de Cambron, mais cette idée ne se concrétisa qu’en 1807 lorsque les administrateurs de Sainte-Waudru prièrent le facteur d’orgues montois Eugène Ermel d’examiner les éléments de cet orgue. Son rapport confirma son bon état et qu’il convenait bien à la taille de la collégiale, puisqu’il s’agissait de l’un des instruments les plus considérables de nos régions.
Dès lors, la Fabrique d’église prit la décision d’acquérir l’instrument et chargea Eugène et Jacques Ermel de réaliser les travaux d’installation, le 15 mai 1808. Sa réception eut lieu le 28 mars 1811[1].
Dès 1817, c’est Louis Fétis (oncle du célèbre musicien François-Joseph Fétis) qui fut chargé de son entretien. En 1822, on constata que l’orgue avait été « mal relivré » et devait être restauré, les tuyaux tombant les uns sur les autres, une bonne moitié ne jouant plus, alors que la soufflerie était jugée insuffisante. Cet ouvrage de remise en état fut confié au même Louis Fétis.
De 1834 à 1836, Pierre-Jean et Henri De Volder effectuèrent une nouvelle restauration qui apporta d’importants changement dans la structure même de l’instrument. En 1844, nouvelle intervention de la part d’un autre spécialiste, Auguste Rifflart, qui, d’après son devis, rajusta les anches d’une grande quantité de tuyau, resouda les corps des tuyaux défectueux, régla les mouvements des mécaniques qui s’accrochant l’une à l’autre, faisait chanter les notes sans les toucher…[2]
Il y eut encore diverses interventions, en 1864 par Désiré Cordier qui, entre-autre, installa une nouvelle soufflerie ; en 1875 par Charles Anneesens qui renouvela celle-ci, harmonisa certains jeux et restaura la tuyauterie.
Entre 1920 et 1930, l’instrument d’origine fut partiellement démantelé : le buffet du positif fut vidé et en partie détruit dans le but d’y placer un orgue pneumatique, ensuite, sa façade fut amputée d’un tuyau sur deux pour permettre à l’organiste de voir ce qui se passait dans le chœur. Ces modifications entraînèrent la perte de plusieurs jeux, notamment dans les aigus. Enfin l’orgue ne comportait plus que deux claviers et un pédalier.
Entre 1948 et 1952 Maurice Delmotte reconstruisit les grandes orgues en conservant les rarissimes jeux anciens ayant échappé au massacre des années vingt. Désormais, il retrouva ses trois claviers et comporta avec le pédalier un total de quarante-cinq jeux. Mais il fallut malheureusement enlever la montre 16 qui, devenue lépreuse, tombait en miettes.
Cet orgue, à part deux légères modifications, restera en l’état jusqu’au 24 août 2014, date à laquelle il fut complètement démonté pour une restauration en profondeur qui dura quatre ans.
Celle-ci, porta sur la reconstitution de la hauteur originale du massif inférieur du grand buffet ; la reconstitution des parties manquantes de la charpente ; le renforcement et la restauration des parties conservées de tout le panneautage ; la reconstitution complète de la partie arrière du buffet de balustrade ainsi que celle des tuyauteries de façade en étain et des sculptures conservées ; enfin, la repose du grand cadran d’horloge, malheureusement sans son ornement d’origine, disparu.
Pour ce qui concerne les parties instrumentales, un retour à une situation antérieure étant impossible en raison des différents ajouts apportés au cours des siècles, une réorganisation totale de l’instrument permettant de valoriser les différents apports et changements dans la tuyauterie tout en permettant l’exécution d’un vaste répertoire.
Il compte maintenant 70 registres répartis sur quatre claviers manuels et un pédalier, pour un total de 4.400 tuyaux.
Cette harmonisation, autant visuelle que sonore, fut étudiée et exécutée par l’association momentanée entre la « Manufacture d’Orgue Thomas » la « Klais Orgelbau » et « Monument-Hainaut », en étroite collaboration avec l’auteur de projet, Luc De Vos, et les organistes titulaires, Bernard Carlier et Benoit Lebeau.
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