RUE DES CASEMATES
Il est bien évident que le nom de cette rue provient de sa proximité avec la caserne casematée toute proche. Jusqu'en 1978, elle porta le nom de rue de Saint Denis (en souvenir de la bataille qui s'est déroulée près de ce village les 14 et 15 août 1678 entre l'armée française, commandée par le maréchal de Luxembourg et l'armée néerlandaise, commandée par Guillaume III.) Ces casemates sont, avec la boulangerie militaire, le « Carré des Arts », (ancienne caserne Guillaume) et le soubassement sur lequel est posé le bâtiment du Waux-Hall, les seuls vestiges de la dernière fortification qui entoura Mons.
Cela mérite une explication : le traité de Vienne ayant créé, après la défaite de Napoléon, le royaume des Pays-Bas, il fut décidé de renforcer la frontière sud du nouvel état contre un éventuel retour du sempiternel envahisseur français. C’est ainsi que furent simultanément fortifiées : Ostende, Nieuport, Ypres, Menin, Tournai, Ath, Mons, Charleroi, Philippeville, Mariembourg, Namur, Dinant, Huy et Liège.
L’enceinte construite de 1817 à 1826 par les ingénieurs militaires hollandais formait un ovale régulier présentant un périmètre d’environ 10.000 mètres - l’actuelle grande voirie, ancien chemin de ronde, en marque de nos jours exactement la limite intérieure. Elle était constituée d’un rempart principal composé de 14 bastions régulièrement espacés d’une même distance de 350m, reliés entre eux par des courtines que perçaient cinq portes donnant accès à la ville. Le rempart principal, de 10 mètres de haut, était entouré d’un fossé rempli d’eau, de 40 mètres de large et de 4 à 5 mètres de profondeur, lui-même précédé d’un chemin couvert continu protégé par un glacis herbeux destiné à empêcher un tir direct sur les murs et, dans ces talus, étaient aménagées 14 demi-lunes reliées ainsi que de nombreux réduits et places d’armes. Au devant de celui-ci s’étendait encore un avant-fossé à l’extérieur duquel courrait un chemin de ronde. Les principales portes, c'est-à-dire celle de Bertaimont, d’Havré et de Nimy, parce qu’elles avaient subi par le passé les attaques principales, avaient été dotées toutes trois d’une protection supplémentaire s’étendant loin dans la campagne. Á un point tel que la sinuosité de la route de Bruxelles passant au travers de tous ces ouvrages inspira en 1837 à Victor Hugo les réflexions suivantes : « Mons est une citadelle, et une citadelle plus forte qu’aucune des nôtres, il y a huit ou dix enceintes avec autant de fossés autour de Mons. En sortant de la ville, on est rejeté, pendant plus d’un quart d’heure, de passerelles en ponts levis, à travers les demi- lunes, les bastions et les contrescarpes… »
Même l’extrémité du canal allant de Mons à Condé était fortifiée par un ouvrage à cornes entouré d’eau où, seul, un passage étroit permettait aux bateaux d’accéder au grand bassin situé au devant de la porte du Rivage. Enfin, une ligne de fortification avancée reliait cet ouvrage à ceux disposés au devant de la porte de Bertaimont, renforçant la défense du côté de la plaine. Autour de la fortification proprement dite une vaste zone inondable protégeait l’ensemble. Elle était alimentée, au Sud Est, par la trouille au Nord-Est, par le Trouillon, et à l’Ouest par la Haine. A chacune de ces entrées d’eau un fortin isolé abritait les vannes commandant ces inondations. C’était là, on le voit, un dispositif de première importance qui faisait de Mons, selon Pierre Larousse : « une place-forte parmi les plus puissantes d’Europe ». En fait le rôle de cette place-forte était de constituer un verrou sur la route menant à Bruxelles et aux Pays Bas face à l’ennemi historique : le français ».
La nouvelle enceinte formait un ovale régulier autour de la ville. C’est l’observance d’une stricte régularité, garante d’une plus grande efficacité, qui fit que la vieille enceinte du Moyen âge, qui avait survécu jusque là - à vrai dire, fort ruinée par les années et le manque d’entretien, disparut complètement, à l’exception toutefois de la tour Valenciennoise qui ne dut sa survie qu’à l’épaisseur de ses murs et qui, pour la même raison, survécut à la dernière démolition et est parvenue jusqu’à nous. Régularité à tel point que les nouvelles portes, à l'exception de celle de Bertaimont qui avait servi de point de départ, n' étaient plus dans l'axe des rues qui y aboutissaient. Manifestement, l’art de la défensive en cas de siège, la poliorcétique, avait atteint ici une certaine perfection.
L’ensemble des murs du rempart principal était constitué d’un soubassement en pierres bleues appareillées, reposant sur un épais radier de poutres en chêne, et sur lequel avait été monté un appareillage de briques dans lesquelles étaient régulièrement disposées, en quinconce, des pierres de taille dont le seul objet était de briser la propagation des ondes de choc lors d’un bombardement. Un lourd bandeau continu en pierre en renforçait le faîte, et un corps en blocage de moellons de silex et de calcaire, enrobés dans un mortier à la chaux remplissait son épaisseur. Quant au parement des demi-lunes et des ouvrages à cornes, plus exposés, il était entièrement en pierres bleues, bouchardées au centre et ciselées sur le pourtour, soigneusement ajustées. Chaque muraille était surmontée d’une épaisse couche de terre engazonnée et plantée d’un alignement d’arbres, destinée à amortir les chocs.
Pour accéder à la ville, une fois passées les défenses avancées, on traversait le chemin couvert entre deux murs qui en épousaient le profil, puis on accédait à la demi- lune par un pont en bois recouvert de pavés. Puis de là, on devait encore traverser le fossé principal sur un long pont qui menait à l’entrée de la tenaille, entrée qui était ornée de deux hautes colonnes en pierre taillée surmontées d’une sphère. On traversait alors cet ouvrage défensif avant d’emprunter un troisième pont dormant qui aboutissait à un pont levis qui, lui, défendait la porte proprement dite (Victor Hugo avait raison). Celle-ci, monumentale, de style classique, était flanquée de 4 colonnes toscanes jumelées supportant un entablement massif du même ordre. Elles encadraient une entrée en plein cintre que garnissaient deux imposants battants de portes donnant accès à un passage voûté de 3m70 de large sur 4m30 de hauteur à la clé, qui perçait le rempart proprement dit. Du côté intérieur, elle comportait trois travées voûtées à l’épreuve des bombes, mais seule celle du milieu servait au passage, les autres abritait un corps de garde ou des magasins. Quatre sphères ornementales en pierre bleue garnissaient le sommet des pilastres qui rythmaient la façade, tandis que deux autres, protégées par des chasse-roues de forme conique terminaient les murs en quart de cercle retenant les terres du talus encadrant la porte.
On l'a dit, ce périmètre de fortifications était encore renforcé par d’importantes défenses avancées aux endroits les plus vulnérables, c'est-à-dire ceux situés en face des monts St-Lazare , Panisel et Héribus, et donc plus exposés au tir des assaillants. Pour mieux situer de nos jours leur étendue, relevons que le tracé sinueux de l’actuelle rue du Champs de Mars reproduit l’ancien contour des ouvrages avancés de la porte de Nimy, que le Waux-Hall se trouve sur les vestiges d’un fort construit en hors-d’œuvre pour défendre la porte d’Havré, et que le tracé du chemin du Versant témoigne encore partiellement de la limite extérieure des défenses avancées de la porte de Bertaimont. Ces dernières furent particulièrement développées par les ingénieurs hollandais car c’est toujours de ce côté que se déroulèrent – avec succès - les principales attaques qui ont été dirigées contre la ville. Tout à l'avant, il y avait trois saillants fortifiés destinés notamment à protéger les vannes commandant les inondations dans cette partie de la ville, et à épauler la digue rejoignant la défense du canal de Condé, ensuite entre la demi-lune et le rempart principal, un puissant ouvrage en tenaille avec réduit casematé et contre escarpe crénelée, encadrant des places d’arme, élevé juste dans l’axe de la porte.
Enfin, pour appuyer ces défenses extérieures, on construisit dans les deux bastions voisins encadrant la porte de Bertaimont, donc à l’arrière du rempart, de formidables casemates à l épreuve des bombes, destinées à abriter, d’un côté, la boulangerie militaire, et de l’autre, le logement d’une garnison de 2.000 hommes, mais leur utilité première était bien de contribuer à la défense de la porte de Bertaimont par le moyen de 55 embrasures permettant à autant de mortiers de tirer par-dessus le rempart. Ces deux bâtiments ne sont autres que ceux existant encore rue de Thirimont et place Nervienne, et qui ont survécu en raison de l’importance de leur masse.En effet, quand il fut décidé de raser les fortifications, leur importance fit renoncer à les démolir et des magasins aux fourrages y furent aménagés en 1883 par la Défense Nationale pour pourvoir à l’approvisionnement des chevaux de la garnison de l'époque, notamment du 1er chasseur à cheval.
Voilà le manteau dont on avait revêtu la ville pour protéger le pays, et qui ne servit jamais. En effet, au lendemain de l’indépendance de la Belgique, le gouvernement français réclama la suppression des places-fortes longeant la frontière depuis la mer jusqu’à l’Entre-Sambre et Meuse, dont Mons. La Convention des Forteresses, conclue le 14 décembre 1831 entre les Grandes Puissances – Angleterre, Autriche, Prusse et Russie – et la Belgique, autorisa un démantèlement partiel de cette ligne de fortifications. Quelques décennies plus tard, une nouvelle stratégie de défense du Pays s’appuyant sur la forteresse d’Anvers, conjuguée avec l’apparition d’un nouveau type de canon plus performant, provoquera le déclassement de toutes les places-fortes. Après la loi du 15 juillet 1860 autorisant la cession des terrains militaires, celle du 8 mai 1861 décréta la démolition de l’enceinte montoise.
Pour les Montois, cet événement était attendu et espéré comme le point de départ d’un futur essor industriel à l’instar d’autres cités voisines. En réalité il était trop tard, la révolution industrielle avait trouvé depuis longtemps ses pôles de développement, et notre bonne ville resta un centre administratif, commercial et intellectuel, mais c’est néanmoins avec beaucoup de satisfaction qu’ils accueillirent la nouvelle. Ainsi Henry Delahaye décrivit-il dans un roman de Mœurs montoise paru en 1892 l’état d’esprit qui régnait à Mons à l’époque où on envisageait leur disparition par ces mots : « les fortifications, sur l’emplacement desquelles devrait sourire bientôt la verdure des boulevards (…) On saluait par des cris de joie l’union fraternelle de la ville et de la campagne (…) Et, pour la première fois, les citadins purent contempler de leurs demeures l’infini déroulement du paysage, des champs, des ruisseaux, des monts dorés et de la grande ceinture d’émeraude dont les forêts entourent la ville ». C’était comme une (re)naissance. Remarquons toutefois que Paris, qui était entourée d’une enceinte semblable datant de 1840, a conservé ses « fortifs » jusqu’après la première guerre mondiale.
Une fois que le roi Léopold 1er eut signé la loi autorisant leur démantèlement, un crédit extraordinaire de 1.100.000 francs (somme énorme pour l’époque, mais plusieurs enceintes fortifiées étaient concernées : Mons, Charlertoi, Namur) fut accordé au ministre de la Guerre pour servir à la mise hors d’état de défense de ces enceintes. De son côté, le ministre des Finances fut autorisé à mettre en vente publique les terrains et les bâtiments militaires rendus disponibles par ces travaux de désaffection. Et le Moniteur du 10 mai 1861 de préciser : ce sont les acquéreurs qui feront démolir à leurs frais les ouvrages défensifs situés sur les biens vendus. Mais la thèse de la Ville était toute différente : plutôt qu’un lotissement préalable à la démolition, elle préféra démolir l’ensemble à ses frais, conserver les terrains qui lui seraient nécessaires pour les aménagements prévus et vendre ensuite les lots restants, se réservant de faire supporter par les acquéreurs les dépenses encourues par elle et par l’état pour la démolition. Sur les 106 hectares de terrains nivelés, la ville en conserva 36 pour l’établissement des nouvelles voiries. Même avec la participation de l’état, la Ville ne pouvait supporter tous ces frais, aussi lança-t’elle un emprunt de 1.800.000 francs pour pouvoir exécuter les travaux de démolition et la reconstruction projetée.
Dès ce jour, les montois furent autorisés à se promener sur les remparts, mais pas avant que les 40 canons et les derniers tonneaux de poudre eurent été expédiés à Anvers, et que tout risque d’accident fut écarté. Les opérations de démolition commencèrent le 24 juin 1861 par l’enlèvement des terres du parapet au devant de la porte de Nimy puis, durant l’été, par la démolition des ouvrages situés entre les portes de Nimy et du Parc. Fin 1862, ils continuèrent entre la boulangerie militaire, près de la porte de Bertaimont, et la porte des Guérites (actuelle avenue Frère- Orban) ; l’année suivante, depuis cette dernière jusqu’à la porte de Nimy. Enfin en 1864 ils se terminent par la partie située entre la porte du Parc et celle de Bertaimont.
C’est à la pioche et à la pelle que les ouvriers s’attaquèrent aux puissantes murailles. Ils étaient payés 14 centimes par m³ de gravats déblayés et 7 centimes pour leur transport. Le chantier était très animé, 120 à 200 personnes étaient employées à la démolition par les entrepreneurs. On travaillait de trois à quatre côtés à la fois autour de la porte de Nimy. Bien entendu la presse de l’époque suivait de près la progression des travaux et se faisait l’écho de tous les événements qui s’y produisaient. Par exemple, l’un ou l’autre blessé par des gamins qui venaient y jouer à la guerre en se lançant des pierres. Évidemment, le dimanche, la promenade des montois était consacrée à la visite des démolitions.
Restait le réaménagement des lieux. Une commission gouvernementale s’affaira pour traiter les projets présentés par la ville de Mons pour le remploi futur des terrains libérés. On y discuta longuement du tracé des voies nouvelles et de la répartition des tâches ; aux frais de la ville : une rue circulaire intérieure, des boulevards et des rues transversales ; aux frais de l’état : quatre avenues formant grand’route aux sorties de la ville, Bertaimont, Havré, Nimy et le Rivage, plus les ouvrages des fronts 10-11 et 11–12 qui furent réservés au département de la guerre pour l’entraînement des nombreux soldats casernés à Mons, c'est à dire la future plaine de manoeuvres de Nimy (maintenant le lycée Marguerite Bervoets et l'UMons)
Il fallut vingt ans pour remplacer les anciens fossés, les murailles, les demi-lunes et autres tenailles par des boulevards ombragés, des rues larges, droites, bien éclairées rayonnant vers la campagne avoisinante. Mais ces remparts ainsi que ceux qui les ont précédés, construits suivant des tracés différents, arasés chaque fois pour n’en supprimer que les superstructures, laissèrent subsister dans le sol des vestiges non négligeables sur lesquels les constructeurs actuels tombent inévitablement, notamment lors du creusement, de 1975 à 1980, des tunnels routiers sous les principaux carrefours des boulevards. En effet, La solution la plus simple a toujours été d’application lors de chaque démolition : ne démonter que ce qui faisait obstacle sans prendre la peine d’aller rechercher ce qui se trouvait dans le sol. On récupérait, pour les revendre, les matériaux encore en bon état tandis que le reste était simplement déversé dans les fossés. C’est ce qui explique que, presque partout, des vestiges se trouvent à faible profondeur sous les chaussées et les trottoirs, et, malheureusement pour leur propriétaire, cela explique pourquoi apparaissent ici et là des déformations parfois importantes dans certaines habitations. Elles sont provoquées par des tassements différentiels tout simplement par qu’elles ont été construites en partie sur d’anciens murs aux solides fondations et en partie sur d’anciens fossés récemment comblés (1).
1 Bruno Van Mol . Les Grands Travaux des Boulevards de Mons et la localisation des Remparts. Annales des Travaux Publics de Belgique. 1981.
Photos :
Vue d'ensemble de la ville derrière ses fortifications hollandaises. Lithographie anonyme. Coll. de l'auteur.
Plan de la ville entourée de ses fortifications. Carte levée par la brigade topographique de l’Armée Belge. (Musée Royal de l’Armée. Bruxelles).
Porte de Bertaimont en démolition, Vue extérieure ca 1864. Dessin de Léon Dolez . BUMONS.
La porte de Bertaimont et ses défenses. Extrait de la carte levée par la brigade topographique de l’Armée Belge. (Musée Royal de l’Armée – Bruxelles).
Démolition de la porte de Bertaimont. Photo anonyme vers 1865. BUMONS.
Porte de Nimy. Gravure de Wauqière ca 1830. BUMONS.
Fossé et demi-lunes au devant de la porte de Nimy. Dessin de Léon Dolez ca 1862. BUMONS.
Façade Intérieure de la porte de Nimy. Dessin de Léon Dolez ca 1862. BUMONS.
Pont dormant devant la porte du Parc. Dessin de Léon Dolez ca 1862. BUMONS.
La porte et le fort d’ havré. Extrait de la carte levée par la brigade topographique de l’Armée Belge. (Musée Royal de l’Armée – Bruxelles).
La porte d'Havré. Dessin de Léon Dolez ca 1862. BUMONS.
Démolition de la porte d’Havré – Photographie de 1865. IRPA. Bruxelles.
Démolition de la porte de Bertaimont – Photographie. 1865 IRPA. Bruxelles
Exemples de fortifications similaires à celles de Mons (Toul 1822-1844). Photos de l'auteur.
).
RUE ANDRE MASQUELIER
Cette rue s'appelait auparavant rue du Rivage. C'est en effet à cet endroit que l'on déchargeait les marchandises amenées par bateau via la Haine et la Trouille. Après le détournement de la rivière hors de la ville en 1871-1872 on élargit la rue que l'on prolongea en direction de Cuesmes, à travers l'église de l'abbaye du Val-des-Écoliers, démolie en 1876. Elle reçut le nom d'un avocat montois, conseiller communal et échevin organisateur de l'enseignement communal primaire.
Juste après avoir tourné dans la rue du Rivage, la Trouille passait sous un pont situé au devant le monumental portail d'entrée de l'hôpital militaire. Datant du XVIe siècle, celui-ci provient du château de Marie de Hongrie à Binche (1545 à 1549), et est une oeuvre de Jacques Dubroeucq, le maître montois de la Renaissance. Il fut transféré à Mons lors de la construction de l'hôpital (le château de Binche ayant été détruit en 1554 par les troupes du roi de France, Henri II). Cet hôpital fut édifié de 1704 à 1708 sur ordonnance du roi Philippe V d’Espagne aux fins d’accueillir les soldats blessés au cours des affrontements de la guerre de succession d’Espagne. Construit tout en long, il présentait du côté de la rivière une façade de 60 mètres de laquelle se détachaient trois tours carrées surplombant le cours d’eau. Elles abritaient les latrines des malades, qui se vidaient, donc, directement dans celui-ci. La première des trois est visible tout à fait à gauche de la lithographie reproduite ci-contre.
Plusieurs fois remanié au cours du XVIIIe siècle, notamment après la destruction des toitures lors du siège de la ville par les Français en 1746, l’architecte Nicolas De Brissy en modifia l’aspect en créant un niveau supplémentaire dans les combles. L'hôpital fut supprimé en 1772 par un édit de l’impératrice Marie Thérèse, mais retrouva son affectation première sous le régime français. Au milieu du XIXe siècle on y recensait plus de 300 lits, l’importance de la garnison alors en place à Mons expliquant cette large disponibilité. Ce premier édifice disparut en 1875 dans un incendie qui n’épargna que la conciergerie et le portail d’entrée. Ce qui nous permet de toujours admirer celui-ci.
Il fut remplacé rapidement par un nouveau bâtiment, tout aussi long, mais construit trois mètres en retrait par rapport à l’ancien afin de donner plus d’espace à la nouvelle voirie qui a remplacé la Trouille après son détournement hors les murs. (La conciergerie témoigne encore de l’ancien alignement).
Durant la première guerre mondiale, il abrita les services de la Croix-Rouge avant d’être occupé par les Allemands. Il servit alors de lieu d’incarcération pour les femmes. Suite aux déprédations commises par l’occupant et surtout en raison du bombardement canadien survenu lors de la bataille pour la libération de Mons, il fut transformé en simple dépôt, ses annexes démolies et le jardin situé derrière le couvent voisin, vendu. Il ne reprit ses fonctions qu’en 1929, après de longues réparations et porta le nom de caserne Vingternier en hommage à cet officier médecin auxiliaire montois décédé au front de l’Yser quelques jours avant la fin de la guerre. Il servit encore d’hôpital civil pendant la deuxième guerre suite à la réquisition de l’hôpital Saint Georges, au boulevard, par l’occupant. Après la guerre, il devint un magasin d’intendance de l’armée. Revendu par le ministère de la guerre, la ville de Mons en fait l’acquisition en 1994 et le cède à la Société Régionale Wallonne du Logement qui en fit des logements sociaux, inaugurés en 1999 pour la première tranche, puis en 2000 et en 2003 (architecte Pierre Farla).
Sur la droite de l’hôpital militaire se trouvait le portail du couvent des Capucins qui en firent l’acquisition lorsqu’ils se réinstallèrent à Mons en 1863. Auparavant il était la propriété des Pénitentes Capucines dont l’ordre fut supprimé en 1783.
L’histoire du Couvent des Capucines commence avec la Dame Louise de Lorraine, princesse de Ligne, d’Amblise et du Saint-Empire, mais aussi reine de France et de Pologne qui, lorsqu’elle devint veuve, enfila, en 1637, le pauvre habit des Pénitentes Capucines au Couvent de Douai et devient Sœur Claire-Françoise et demanda quelques temps après, à son fils, le prince de Ligne, de lui procurer une habitation et c’est donc le 7 septembre 1644 que Sœur Claire-Françoise, accompagnée de quatre religieuses, arriva à Mons. Dans l'urgence, le petit groupe fut logé dans l’hôtel du prince, mais ayant été, lors de leurs arrivées dans la ville, reçues avec honneur par la noblesse, les magistrats et le peuple, devant une telle manifestation de sympathie, Sœur Claire Françoise y vit une occasion favorable pour fonder un couvent de Capucines à Mons. Dès lors, le prince de Ligne mit tout en œuvres pour l’obtention du consentement du roi d’Espagne, Philippe IV, qui ne put refuser devant Dame Louise de Lorraine, membre de la noblesse espagnole. Le conseil de la ville fust également favorable et octroya les autorisations requises.
Á l'époque, un terrain, convenant parfaitement, étaitt mis en vente dans le quartier du Rivage, près du port de Mons. Les travaux débutèrent sans tarder et le couvent fut bâti en 1647 à la pus grande consolation des religieuses qui, sous la direction de Sœur Claire-Françoise, devenue leur supérieur, virent leur nombre s'accroître rapidement. L’église conventuelle ne fut construite qu'en 1664 et consacrée le 10 août 1665 par Monseigneur Ladislas Jonnart, évêque de Saint-Omer.
Sœur Claire Françoise, fondatrice du couvent, mourut quelques années après, en 1667 et fut inhumée dans le coeur des religieuses. Les Capucines occupèrent leur couvent pendant 135 ans, jusqu'au 16 mars 1783 où un édit de Joseph II les en expulsa, obligeant les 24 religieuses y habitant de fuir et se réfugier chez les Visitandines. Le couvent fut mis en vente publique et l'ensemble des bâtiments fut acquis par Messieurs Hardempont-Lequeu et Durand qui le transformèrent en sucrerie. Le montant de la vente fut attribué à une caisse d'État dite « caisse de religion ». En 1830,’une partie des bâtiments conventuels fut employée pour l’agrandissement de l’hôpital militaire.
En 1814, l'entreprise dite « Raffinerie des Capucines » passa aux mains de la famille Capouillet puis Ségard à laquelle les Capucins rachetèrent la propriété le 29 octobre 1863, grâce à la libéralité du chanoine Duquesnes, de Mons. Après de longs travaux de restaurations, l'inauguration du couvent put avoir lieu, le 1er septembre 1864, sous l'égide du nonce apostolique Nicolas, comte Ledochowski, archevêque de Thèbes,. Á partir de ce moment, l’église et le couvent abritèrent les Capucins et redevinrent ainsi, pendant 125 ans, un lieu de prières, de soutien et d’accompagnement spirituel.
Situé le long de la rivière de la Trouille, le couvent est implanté sous forme quadrilatère et organisé autour d’une coursive. Quant à l’église, elle est érigée en dehors du bâtiment principal en direction du pont, dit des Capucines, qui enjambait la rivière au devant de l'hôpital militaire voisin. L’ensemble du couvent et de l’église fut privatisé à l’aide d’un mur qui enrobe la globalité. Une dizaine d’années après son inauguration, le bâtiment connut encore certaines rénovations et transformations : une chapelle fut consacrée à saint Antoine de Padoue et mise en place à l’emplacement des anciens parloirs, le chœur des religieux fut également arrangé et la confrérie du Tiers Ordre inaugura des nouveaux locaux et une nouvelle salle de conférence.
En 1917, une grande partie du couvent fut occupée par les prisonniers civils de Mons parce que la prison avait été réquisitionnée par les Allemands. Le 10 novembre 1918, suite aux bombardements, un nombre important de travaux furent effectués jusqu’en mai 1919. En 1933, suite à la réouverture du noviciat, le couvent rencontra des changements radicaux. Un niveau supplémentaire fut ajouté en 1935 pour abriter les novices des provinces de Wallonie. A cette occasion, la façade côté jardin fut quelque peu remaniée et reçu notamment une statue de la vierge à l’enfant surmontée d’un dé en pierre avec, au dessus du deuxième étage percé de trois fenêtres étroites juxtaposées, un fronton monumental à volutes, encadrant une horloge. En 1960, le mur de clôture devant l’église fut abaissé. En 1970, les parloirs qui avaient été incendiés durent être réaménagés.
Remarquons que tous les dimanches, une messe dominicale était célébrée en néerlandais par les pères Capucins. Á ce propos, un cercle privé, le St Franciscus Kring, réunissait les pratiquants du Néerlandais un peu plus loin dans la rue.
En raison du manque de vocations, les derniers capucins revendirent l’ensemble du site à la Ville en septembre 1997, sous condition de pouvoir en occuper une partie jusqu’à l’extinction de leur communauté. Le couvent devint pendant 12 ans la maison de Mémoire dont l’objectif est de stimuler des relations dynamiques d’hommes avec leurs mémoires. Ce changement permit au monde extérieur de la clôture de découvrir l’intérieur du couvent tandis que la Chapelle restait accessible et ouverte au culte.
Fin 2014, la société Capucins SA fit l'’acquisition des lieux et s’investit dans sa rénovation en collaboration avec le bureau d’architecture Farla, le bureau d’études des techniques spéciales ADEM et en 2016, le chantier fut confié à la société LIXON. Le couvent fut converti en un ensemble immobilier, quant à l’église, elle fut restaurée afin de continuer la dynamique des relations entre les hommes, par le biais de divers évènements 1.
Cette église abrita, pendant 133 ans, le culte de Notre-Dame de Belle Dilection qui ne cessa d’attirer un grand nombre de fidèles. En effet, en ce lieu sacré se trouvait le tableau vénéré et les actes authentiques ayant procuré de nombreux miracles. Le mot dilection vient du latin « dilectio » qui veut dire « amour » (livre de l'Ecclésiastique, 24, 18). Pendant la Révolution, une religieuse parvient malgré la surveillance, à emporter l'image miraculeuse et quelques documents concernant les miracles (actes authentiques aujourd'hui conservés aux archives de l'État) qui seront cachés chez des particuliers jusqu'en 1808, date à laquelle ils furent confiées aux Ursulines. Le tableau fut rendu aux pères Capucins en 1870.
Signalons pour terminer la présence au bout de la rue de cette élégante tour qui rien d'autre que le clocher de l'ancienne église de l'abbaye du Val-des-Écoliers. Voir à ce sujet l'article sur la rue des Ecoliers.
1 Un couvent dans la ville : Capucines et Capucins à Mons. Bérengère Moiny ; Jeanne Angono, Gérard Bavay, John Corriveau. 2000.
Photos :
Entrée de l’hôpital militaire. Lithographie d’Etienne Wauquière. Ca 1830. BUMons.
Le pont dit des Capucines devant l'Hôpital Militaire et le couvent des Capucines., Dessin de Léon Dolez. 1870. BUMons.
Façade latérale de l'hôpital militaire. Dessin de Léon Dolez. 1870. BUMons.
Parcours de la rivière autour de l'Hôpital militaire et du couvent des Capucins Extrait,du plan Goffaux. 1858.BUMons.
Plan de l'hôpital militaire dressé en 1756. BUMons.
Cour intérieure de l'Hôpital militaire vers l'église des Capucins. Carte postale. Coll. de l'auteur.
Façade de l'église du couvent des Capucins. Carte postale. Coll. de l'auteur.
Le couvent des Capucins vu du jardin.Carte postale. Coll. de l'auteur.
Plan du couvent des Capucins de la ville de Mons en 1784 par Thomas-joseph Merlin. Patrimoine Historique & Expositions Numérique BUMONS.
Autel de l'église des Capucins avec l'image de Notre-Dame de Belle Dilection. Carte postale. Coll. de l'auteur.
La rue André Masquelier et la tour du Val des Écoliers. Carte postale. Coll. de l'auteur.
RUE DE BOUSSU
Auparavant, cette rue était dénommée Trou de Boussu parce que les Seigneurs de Boussu y avaient leur hôtel et qu'elle finissait en cul-de-sac.
Jusqu'à la fin du XIVe siècle, les comtes de Hainaut eurent leur résidence à Mons et les principaux seigneurs du comté y avaient, de ce fait, également un pied à terre. Mais quand le comté passa sous la Maison de Bourgogne, les seigneurs ont vendu leur hôtel pour suivre la cour à Bruxelles. Ce qui fut le cas de celui de Boussu qui fut racheté pour servir de refuge à l'abbaye de la Thure. (abbaye de chanoinesses augustiniennes fondée au XIIIe siècle au bord de la Thure, entre Solre-sur Sambre et Bersillies-l'abbaye. Évacuée en 1792, elle a cessé d’exister comme abbaye en 1796, lorsque ses biens furent confisqués et vendus publiquement par le pouvoir révolutionnaire français).
Un mot sur les sires de Boussu : Propriété de la famille de Hennin-Liétard dès 1225, la place forte de Boussu a connu son personnage le plus célèbre en la personne de Jean V de Hénin-Liétard (1499-1562). C'est lui qui commanda en 1540 la construction d’une demeure exceptionnelle en style renaissant confiée au célèbre architecte montois, Jacques Du Broeucq. Ayant acquis, durant les années 1530, titres, honneurs et charges étatiques qui lui octroyèrent une place importante dans « la cour des grands, notamment celle de Grand Ecuyer de l'Empereur Charles-Quint, ainsi que de larges revenus. Son mariage avec Anne de Bourgogne en 1532 avait également contribué à cette ascension sociale. La demeure des deux époux portera d'ailleurs dans ses pierres leurs devises respectives, « Gy Seray Boussu »et « À jamais Bourgogne ». Malheureusement, en 1554, les troupes françaises avec à leur tête le jeune roi Henri II, assiègent le château, le prennent et le brûlent presque entièrement, ne laissant que des ruines et le châtelet d'entrée.
Pour en revenir au trou de Boussu, au XVIIIe siècle, la confrérie militaire des canonniers de Saint-Laurent qui avait sa maison rue de Nimy, y possédait à côté du refuge de l'abbaye de la Thure, un jardin où ses membres allaient tous les quinze jours s'exercer au tir au mousquet.
Quant à l'ancien hôtel de Boussu ; l'aménagement du quartier provoqué par l'arrivée du chemin de fer à Mons en 1841 et l'installation de la gare à proximité, tout particulièrement la création de la place Louise et de la rue Chisaire adjacente, entraînèrent la démolition du bâtiment, occupé, à cette époque, par une brasserie. C'est à cette occasion que la rue fut ouverte sur cette dernière voirie et que le nom fut changé (14 septembre 1842) en rue de Boussu, plus simple.
Photos :
Le trou de Boussu et le refuge de la Thure, ancien hôtel de Boussu. Extrait du plan Desaubleaux. 1786. BUMons.
Jean V de Hénin-Liétard par Jacques Le Boucq (1530-1573). Médiathèque d'Arras.
La rue de Boussu fin XIXe siècle. Photo anonyme. FAPMC.