AVENUE BAUDOUIN DE CONSTANTINOPLE
Tronçon intra muros de l'avenue Reine Astrid, autrefois appelée avenue d'Havré, son nom rappelle le comte de Hainaut et de Flandres Baudouin VI (IX en Flandres) qui régna sur les deux comtés de 1195 à 1202.
Il est représenté par une statue équestre le représentant quittant la ville, paré des emblèmes impériaux. C'est le fameux « cheval de bronze » dans le langage des Montois. Mais ce choix ne fut pas des plus judicieux. Voici pourquoi :
Dans le cadre de sa politique d’installation dans chacune des provinces du pays de monuments consacrés à leurs gloires respectives (Ambiorix dans le Limbourg, Charlemagne à Liège, Charles-Quint à Gand, etc…), l’état accorda en 1859 des subsides (avec la participation, dès 1863, de la Province de Hainaut) pour l’érection d'un monument à l'effigie d'un personnage emblématique de la région : Baudouin VI, dit de Constantinople, Comte de Flandres et de Hainaut, législateur de ce comté, connu pour sa participation à la IVe croisade (1198 à 1203), fut choisi sur une idée du président de la Société des Arts, des Sciences et des Lettres du Hainaut, Camille Wins, qui formula tout simplement, lors d’un exposé sur ce même Baudouin VI, le vœux de voir ériger en son honneur une statue.
Son règne sur les deux comtés fut de courte durée puisqu'il fut pressenti par le Pape pour prendre le commandement de la IVe croisade, en avril 1202. Il désigna son oncle comme gouverneur du Hainaut et son frère Philippe comme gouverneur de la Flandre. Après un détour à Rome pour recevoir la bénédiction du Pape, il embarqua avec sa puissante armée de chevaliers à Venise où, à la demande de cette République, il détourna sa troupe pour aller mater la rébellion des colonies vénitiennes puis vers Constantinople pour replacer un empereur déchu sur le trône puis, se détournant de sa mission, décider d'y créer un empirer latin en Orient. Il prit d'assaut Byzance le 12 avril 1204 et se fit élire empereur le 2 mai et couronner à Sainte Sophie le 16 du même mois. Par la suite, ce comte-empereur fut fait prisonnier à la bataille d'Andrinople le 14 avril 1205 et tué l'année suivante au cours de sa captivité, sur l'ordre du roi des Bulgares1.
Le problème de son financement étant, donc, résolu, se posa par contre le problème de son emplacement. Pas moins de 13 projets furent considérés par la société des Sciences, des Arts et des Lettres mandatée à cette étude. Restés en lice, le plateau du château des Comtes et la place St Germain (toujours un terrain vague à cette époque), furent finalement écartés principalement en raison du coût d’aménagement de leurs sites respectifs. Restait la Grand’ Place, mais là, certains trouvaient qu'il n’aurait pas manqué d’empêcher les manifestations populaires comme le jeu de balle ou les revues de la garnison, dont le défilé aurait été rendu impossible ; sans parler, bien entendu, du combat dit Lumeçon et l'on y renonça. Il fut même, un temps, question d’intégrer la statue dans la façade de l’hôtel de Ville, symbole des franchises communales, promulguées précisément par le comte Baudouin.
Heureusement, suite à la démolition des fortifications en 1865, l’espace ne manqua plus à Mons. Il n’y avait, dès lors, plus qu’à choisir lequel des ronds-points prévus allait accueillir la statue équestre. Comme il était prévu que le comte serait revêtu des signes d’empereur de Constantinople, la symbolique l’emporta et il fut installé au rond point de la rue d’Havré et du boulevard, c’est à dire à l’orient de la ville, revenant vers celle-ci dans toute sa gloire. Ce qui semblait relever de la simple logique. Cependant, la polémique fit rage, non seulement au sein du conseil communal ou provincial mais aussi dans la presse locale, sur l’opportunité de rendre hommage à un tel personnage dont on n’était même pas sûr qu’il fut né dans la ville, et dont les exploits avant son départ pour la croisade ne se résumaient qu’à des actes belliqueux ne servant que ses intérêts, et d’aucuns d’ajouter, même : dont les œuvres législatives ne reflétaient, après tout, que la barbarie de son époque !
En plus, ne militait pas en sa faveur le fait qu’il s’arrogea, plus qu’il ne mérita, le fameux titre d’empereur, et aussi le fait qu’il disparut subitement au cours d’une calamiteuse bataille d’annexion de territoires en Bulgarie, probablement fait prisonnier et décédé, on ne sait de quelle manière, en captivité. Mais, comme il avait été décidé que Mons devait avoir son personnage glorieux à l'instar des autres grandes villes, les tenants de la statue emportèrent la décision.
Cependant, fait exceptionnel, cette polémique fit que son inauguration n’eut jamais lieu. Notons, cependant, qu’avant d’être installée (le 20 mai 1868), l’œuvre, qu’on devait au ciseau du sculpteur Joseph Jacquet, eut l’honneur d’être exposée à l’exposition universelle de Paris de 1867. Quant au piédestal, il fut agencé par l’architecte de la province, Charles Vincent, qui fit figurer sur les faces du monument deux plaques de bronze, l’une commémorant l’octroi par le comte de la charte à l’Assemblée des États de Mons, et l’autre l’institution de la Haute Cour du Hainaut sous les chênes de Hornu (dont l’existence fut également contestée). Telle est la genèse de cette statue voulue pour apporter à la ville un peu de gloire, et que les montois n’identifièrent que par la monture ... « Le cheval de Bronze » !
Si elle fut érigée place de Flandres, alors que beaucoup d’autres ronds-points eussent pu faire l’affaire, c’est également parce que cette entrée de la ville était à l’époque considérée comme la plus en vue en raison de la proximité du centre-ville, mais surtout, en raison de celle du nouveau site en vogue auprès de la bourgeoisie montoise, le Waux-Hall, qui venait d'être créé (en 1862).
Au cours de la guerre 14-18, cette statue fut, elle aussi, menacée d’être fondue par l’occupant allemand (qui avaient déjà emporté quelques statues qui faisaient légitimement la fierté de la ville (Roland de Lassus, Antoine Clesse, François Dolez) , mais celle-ci dut sa survie aux lenteurs sciemment apportées par astuce à la prise d’un moulage en plâtre, soi-disant destiné à en transmettre l'image à la postérité.
Beaucoup plus tard, selon la décision du Collège Communal en date du 31 janvier 1969, la suppression du rond-point et son remplacement par un carrefour, obligea de déménager cette statue à l’entrée de l’avenue Reine Astrid (qui prit à cette occasion le nom d’avenue Baudouin de Constantinople), et de la tourner vers l’extérieur de la ville pour pouvoir l’admirer avec assez de recul. A noter qu’à cette occasion, le piédestal d’origine fut remplacé par un autre, plus petit, en béton lavé. L'ancien fut relégué, tout du moins ce qui en restait, dans le petit square précédant l’école des Ursulines, jusqu 'au jour où des travaux d'amélioration de l'écoulement du Trouillon voûté passant à ses pieds, le jetèrent au sol.
sur cette même avenue se situe un des deux centres hospitaliers importants de la ville : le CHR Mons-Hainaut. Ses débuts furent bien modestes : alors qu’elles étaient en charge des malades de l’hôpital civil, les Sœurs de la Charité firent l’acquisition en 1896 d’une maison particulière au numéro 1 de l’avenue d’Havré (actuelle Baudouin de Constantinople), puis une autre, adjacente, en 1897, pour y installer un centre de soins auquel elles donnèrent le nom de St Joseph. Après la guerre de 14-18, elles devinrent également propriétaire de la maison voisine et purent encore étendre leurs activités médicales. (Ce sont les deux maisons visibles sur la photo ci-jointe, au coin de la rue des Arbalestriers)
En 1935 et 1936, de nouveaux travaux furent réalisés pour agrandir la clinique, mais en 1946,une fois la guerre terminée, un réel agrandissement s´avéra indispensable, on prit une bonne partie du jardin et on rasa l'ancienne buanderie pour y commencer les fondations des nouveaux locaux.En 1948, la construction de deux étages comprenant une salle de stérilisation, de chambres particulières et des chambres communes était terminée. Au rez-de-chaussée, on installa le service de radiographie et de physiothérapie.
En 1954, le nouveau centre médical accueillant différentes consultations ayant pris rapidement de l´ampleur, il fallut songer à agrandir la clinique une fois de plus. Alors les sœurs achetèrent une vaste propriété située au 1, Place de Flandre, pour y construire une nouvelle clinique (cette propriété avait été occupée depuis 1905 par l'institut médico-chirurgical des docteurs Raulier et Thiébaut). Tous les bâtiments furent terminés en 1958, les chirurgiens purent commencer leurs premières opérations tandis que les bâtiments de l´ancienne clinique étaient réservés aux services de médecine interne, orthopédie, kinésithérapie, radiologie. Plus tard, en 1975 on posa la première pierre d’une nouvelle construction, l’actuel bâtiment central, qui se compose de 7 étages, qui entra en fonction en juillet 1980.
En 1995, pour répondre aux besoins de la population, mais aussi pour ne pas se faire distancer par la concurrence, la clinique Saint-Joseph fusionne avec l'hôpital de Warquignies distant d'à peine 15 km. La nouvelle entité s'est du coup arrogé le titre de plus important établissement hospitalier dans la région de Mons-Borinage et prend, après cette fusion, le nom de Centre Hospitalier Régional.
En 2010, des accords sont signés avec les cliniques Saint-Luc de Bruxelles, prévoyant que des consultations très spécialisées soient organisées par des médecins bruxellois, sur les sites de Mons et de Warquignies. Par la suite, en 2014, Le CHR s'est rapproché de l'hôpital de Jolimont pour former le premier ensemble du bassin « Coeur du Hainaut » avec l'appui de l'Université Catholique de Louvain et de l'Université Catholique de Lille. Nouvelle évolution : depuis 2018 la direction a annoncé la disparition du site montois - comme celui de Waquignies - au profit d'un unique centre à construire sur les Grands Prés.
1 François Colette : Ils ont construit Mons .
RUE D'HAVRE
Évidemment, cette voirie doit son nom au fait qu'elle mène au village éponyme. C'est une des plus anciennes rues de Mons, elle est, en effet, connue depuis le Moyen âge (XIIIe siècle), et est une des plus importantes de la ville. Elle présente, de ce fait, de remarquables façades anciennes, la plupart construites à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle, suite au bombardement destructeur opéré par les troupes de Louis XIV, lors du siège de la ville en 1691.
L'édifice le plus remarquable de cette rue est cependant, sans conteste, l'église de Saint-Nicolas en Havré. Si cette église paroissiale se trouve à cet endroit, à l'époque sur le chemin menant à une des portes de la ville primitive, la porte du Marché, c'est parce que la paroisse de Saint-Germain, qui était alors la seule paroisse de la cité, y avait créé un hôpital pour accueillir les pèlerins et les voyageurs. Bien entendu, une chapelle, dédiée à saint Nicolas - alors patron des navigateurs, voyageurs et marchands - y avait été érigée, peut-être dès la fin du IXe siècle, mais sa première mention date de 1181. Par la suite, en conséquence de l'importante augmentation de la population que connut alors la ville, elle fut érigée en paroisse (en 1224) et une première église fut érigée à la place de l'ancienne chapelle, dans le cimetière de l’Hôpital Saint Nicolas.
Par la suite, cette église primitive fut remplacée par une autre, de style ogival, dont la première pierre fut posée le 18 août 1416 par le mayeur de l’époque. La tour commencée en 1424, fut juxtaposée à l’église, soit par crainte de tassements différentiels du sous-sol, soit pour placer celle-ci symétriquement entre l’église et l’hôpital, aujourd’hui disparu. C’est cette tour que nous connaissons toujours. On posa la croix au sommet de la flèche le 7 février 1460.
Le 15 janvier 1664, un incendie consuma toute l’église à l’exception de la tour. Le feu semble avoir été communiqué à l’église par des flambeaux mal éteints, imprudemment replacés dans une armoire par un enfant de chœur. Tout le mobilier ainsi que les registres et documents furent détruits. La toiture et la flèche de la tour furent la proie des flammes, les cloches fondirent et tout le carillon disparut. Cependant, une grande partie de la tour put être conservée, mais, par contre, le feu ayant tellement calciné les murs de la nef, il fallut les démolir pour les rebâtir à neuf. Les travaux durèrent longtemps, jusqu’en 1701, en raison des nombreuses interruptions causées par le manque de fonds.
L’architecte-ingénieur Antony, en charge de la restauration, souhaitant construire une église plus large dut le faire en retrait de l'ancienne façade par manque d'espace et, dès lors, laisser la tour en hors d’œuvre, situation que l'on retrouve aujourd'hui. La façade principale, édifiée dans le style baroque en vogue à cette époque, présente deux pignons semblables, encadrés de volutes surmontant un portail monumental flanqué de colonnes toscanes typiques de ce style. Cette reconstruction, deux siècles et demi plus tard, explique que cet édifice présente deux styles architecturaux complètement différents.
À l'intérieur, le chœur et le maître-autel, bien entendu de style baroque, sont remarquables. L'église abrite aussi la statue de Notre-Dame de Montserrat, qui est de sortie lors de la procession de la Ducasse. Au-dessus du portail d'entrée, on peut admirer une verrière en lames de verre réalisée en 2013 par le maître verrier Bernard Tirtiaux. Haute de 6,5 m et large de 4,5 m, elle représente un oiseau bleu stylisé. Cette église est classée comme monument historique depuis le 15 avril 1939. Le buffet de l'orgue et le mobilier du XVIIIe siècle sont repris sur la liste du patrimoine exceptionnel de la Région wallonne depuis 2016.
L'ancien hôpital Saint-Nicolas n'existe plus, ayant été absorbé après la Révolution française dans une structure hospitalière unique, sous l"égide de la Commission des Hospices civils. Reconverti en caserne d'infanterie il fut en grande partie dévoré en 1825 par un incendie dû à une imprudence des militaires hollandais. Signalons encore que quatre petites maisons étaient adossées à la façade principale de l'église, au coin de la rue des Groseillers, mais elles ont été démolies en 1878.
Malgré les rez-de-chaussée éventrés pour des raisons commerciales, de nombreuses façades intéressantes du XVIIIe siècle se répartissent le long de cette rue. Notamment le bel ensemble homogène de cinq habitations datée de 1712 au cartouche d'allège du n°44. De plus cette artère s'orne de nombreuses enseignes en pierre toutes plus expressives les unes que les autres : millésime, clef, tasche, lunette, faux, mousqueton, balance, paile, lion, renard, corbeau tête, lecteur, licorne, croix toutes d'or ou d'argent.
Au n° 88 de la rue d'Havré s'élève une élégante bâtisse présentant une façade à rue classique de style Louis XVI. Cet édifice a été construit vers 1775 pour servir de refuge aux moniales de l’abbaye de Bélian, à Mesvin, par l’architecte montois Emmanuel Fonson. Il se présente en forme de U autour d’une cour intérieure étroite fermée par un quatrième bâtiment. Vendu comme bien national à la révolution, il fut acquis par le banquier Isidore Warocqué qui y installa ses bureaux. Au début du XXe siècle, les bâtiments étaient occupés par l’institution Sainte-Julie fondée par Mme Gaspard-Demoulin, en 1890, pour s'occuper de l'éducation des jeunes-filles. La chapelle, édifiée à cette époque, est due à l'architecte G. Vleugels. Un temps siège de la « Fédération des Classes Moyennes », qui émigra, en 1974/1975, vers le site des anciennes Brasseries Labor à la Chaussée de Binche, le 88 de la rue d'Havré devint, en1976, la Faculté d’Architecture et d'Urbanisme de Mons (qui avait intégré, en 2010, l'Institut Supérieur d'Architecture de Mons, lui même issu de l'ancienne Académie Royale de dessins, peinture et architecture, créée en 1789).
Au n° 36, on peut admirer la magnifique façade d'une riche demeure de la première moitié du XVIIIe siècle qui était l'ancien refuge de l'abbaye d'Aulne. Remarquons que cette riche artère comportait encore les refuges des abbayes de Liessies et de Saint Ghislain, aujourd'hui disparus (à l'exception du porche d'entrée de cette dernière qui est actuellement intégré dans la façade du magasin situé à côté de l'entrée de l'Ilot de la Grand-Place).
Une autre bâtisse intéressante, hélas disparue, c'est l'imposante maison à encorbellement gothique qui abritait, au coin de la rue du Hautbois, un estaminet à l'enseigne du « Café de Jemappes », et qui a malheureusement été détruite par un bombardement de la dernière guerre.
Rappelons que, depuis 1934, les motrices du tram électrique passaient par la rue d'Havré pour rejoindre la Grand-Place et de là, la gare. Tous les trams circulant dans l'intra-muros furent supprimés en 1968 pour être remplacés par des bus.
Enfin, signalons, qu'en juin 2003, eut lieu l'inauguration du Square Gustave Jacobs reliant la rue d'Havré, au niveau du n°114, au quartier Rachot. Au début du XXe siècle, ce porche servait de passage vers la cour où était installé le loueur de voitures (hippomobiles) Florent Dinsart. Les écuries et les remises où on abritait les voitures, coupés, landaus, victorias et les breaks, se trouvaient au bout de la longue cour.
Photos :
La rue d'Havré au début du XXe siècle, vue vers le haut. Carte postale oblitérée en 1910. Ed. ND Photo. Coll. De l'auteur.
La rue d'Havré au début du XXe siècle, vue vers le bas. Ed. Nels.. Carte postale. Coll. De l'auteur.
La double façade et la tour de St-Nicolas en Havré. Carte postale des années 1930. Coll. De l'auteur.
Les maisons accolées à l'église St-Nicolas en Havré. Dessin de Léon Dolez. 1875. BUmons.
Cloître de l'hôpital Saint-Nicolas. Photo anonyme. FAPMC.
Le haut de la rue d'Havré. A droite, le porche de l'ancien refuge de l'abbaye de St-Ghislain. Carte postale oblitérée en 1920. Ed. Préaux. Coll. de l'auteur.
Enseignes aux n° 50, 72 et 122 de la rue d'Havré. Photos de l'auteur. 2016.
L'ancien refuge de l'abbaye de Bélian. Carte postale non datée. Ed. Desaix. Coll. de l'auteur.
L'institution Ste-Julie, au n°88, dans l'ancien refuge de l'abbaye de Bélian. Carte postale datée de 1902. Ed. A. Meslin. Coll. de l'auteur.
Vieille maison qui faisait le coin de la rue du Hautbois, disparue depuis la dernière guerre. Photo anonyme. FAPMC.
Le tram, rue d'havré. Photo anonyme des années 1950. Coll. de l'auteur.
Cour intérieure du loueur d e voitures Louis Dinsart. Photo anonyme du début du XXe s . FAPMC.
RUE TERRE DU PRINCE
La question est, bien sûr : de quelle terre et de quel prince il s'agit. Jusqu'en 1339, cette rue portait le nom de la famille de Naast qui y avait son hôtel particulier, mais les comtes de Hainaut après avoir confisqué cette vaste propriété à son possesseur pour avoir renvoyé son hommage féodal et s'être rallié au roi de France, y élevèrent un magnifique hôtel où, durant des siècles, ils résidèrent et, après eux, les ducs de Bourgogne. C'est ainsi que la rue prit ce nom de Terre du Prince, c'est à dire rue où le prince avait ... un pied à terre.
Cette propriété de la couronne princière s'étendait du côté gauche de la rue, au coin de l'actuelle rue de Naast. Son jardin fort en pente vers la rue de la Gherlande (actuelle rue des Capucins) était exposé au midi. Aussi y cultivait-on la vigne. Exposition également favorable pour un jardin floral, que d'un nom fort gentil on nommait « le gardin des jolivetés » (compte du Massart de 1471 – 1473) et où la duchesse Marie de Bourgogne aimait à se promener à l'abri des regards.
En 1562, l'hôtel fut reconstruit pour servir aux réunions des trois ordres des États de Hainaut. Une tour destinée à la trésorerie des Chartes y fut ajoutée à cette époque. C'est là que logea la mère du roi de France, Louis XIII, Marie de Médicis, dans son exil aux Pays-Bas espagnols. Il fut détruit en grande partie lors du siège de la ville par Louis XIV, en 1691. Les derniers vestiges importants de cet hôtel furent détruits en 1955 (la tour dite de Naast) ou déplacés, en 1966, (pavillon renaissance de 1531 1.
Mais ce qui caractérise le plus cette rue, de nos jours, c'est cette muraille bâtie de moellons irréguliers en grès de Bray et de rognons de silex, malheureusement partiellement effondrée en 1995 mais qui est en cours de reconstruction, après 25 ans d'atermoiements.
L'enceinte de 12 mètres de haut a été érigée au XIIe siècle par le comte de Hainaut, Baudouin IV, dit le Bâtisseur et poursuivie par son fils Baudouin V pour protéger le château comtal, les chapitres de Sainte-Waudru, de Saint-Germain, l'église Saint-Pierre et la petite agglomération montoise occupant le sommet de la colline. A vrai dire, il s'agissait plus d'une manifestation de la puissance du prince que d'une réelle protection de la population comme le fera, fin XIIIe, l'enceinte communale.
Son existence se traduit de nos jours principalement par l'importante dénivellation qu'elle a engendrée partout où elle passait et qui est encore plus ou moins visible dans le tissu urbain actuel. Après la rue Terre du Prince, elle passait au bas de la rue de la Réunion où se situait une porte dite Porte au blé. C'est, en effet par celle-ci qu'entraient les marchandises pondéreuses (matériaux de construction, bois, céréales, etc.) arrivant par bateau jusqu'au rivage de Mons où elles étaient déchargées puis acheminées via la rue de Bouzanton, le pont et la rue de Cantimpret, vers le haut de la cité.
Plus loin, elle suivait le tracé des rues des Cinq Visages, de la Grosse Pomme, Notre-Dame Débonnaire, Marguerite Bervoets ; descendait le long de la Cronque rue pour aller rejoindre la rue des Clercs à proximité de la porte principale qui débouchait sur le Markiet (Porta Fori). De là, elle longeait la rue de la Chaussée jusqu'à l'actuelle rue Samson ou se situait une autre portes, la Porta Sancti Germani, qui donnait accès directement aux moustiers (monastères) de Sainte Waudru, Saint Pierre et Saint-Germain. A remarquer que là où se tenaient ces deux portes, on constate encore actuellement un élargissement puis un net rétrécissement de la voirie (bas de la rue Samson, bas de la rue des Clercs, voir ces rues).
Une poterne se situait vraisemblablement au bas de la Rampe Sainte-Waudru, portant le nom de Porte des Paluds, nom donné aux marécages ou zones inondables s'étendant au pied de la colline. Cette poterne permettait aussi de rejoindre le parc du comte, dit aussi la Garenne, forêt giboyeuse réservée à ses chasses, qui s'étendait sur le flanc ouest et nord de la colline, jusqu'à la rue actuelle du « Haut-Bois », en passant par la rue « Verte ». Une autre issue protégée de hauts murs, avait été percée à la Cronque Rue pour mettre en communication directe le Château avec la Porta Fori ; et encore une autre au niveau de la rue à Degrés pour rejoindre la Chaussée. Ce grand nombre de percements dans la muraille s'explique par le fait que celle-ci est apparemment vite tombée en désuétude puisque d'autres murailles ont été construites plus en avant, au cours du XIIIe siècle. D'abord le Fossa Magnus, à la rue des Fossés - cfr cette rue, ensuite l'enceinte communale tout autour de la ville.
En dehors de la rue Terre du Prince où les vestiges sont (étaient) bien visibles, diverses traces de murailles épaisses et même des soubassements de tours ont été retrouvés ici et là tout au long de son parcours. Par exemple, des murs partiellement conservés se voient encore à l'arrière de l'immeuble dit du Blanc Lévrier, 35 Grand-place ; le long de la limite séparant les parcelles de la rue de la Chaussée de celles de la rue de la Poterie ; ou encore à la rue Notre-Dame Débonnaire. En outre, il est intéressant de faire remarquer qu'aux endroits où cette muraille passait on retrouve dans les soubassements des façades des maisons proches nombre de moellons provenant très probablement de son parement (rue à Degrés, rue de Naast et, sans doute ailleurs)
Les vestiges de la rue Terre du Prince ont été classés comme monument historique le 16 décembre 1976.
1 Christiane Piérard. L'architecture civile à Mons.
Photos :
La muraille comtale avant son effondrement. Photo Région Wallonne.
La muraille effondrée. Photo Rodolphe Zinga.
Reconstruction de la muraille. Photo Rodolphe Zinga.
Le pavillon renaissance de la rue de Naast. Photo Les amis de la Bibliothèque vers 1925.